Ce mercredi 19 janvier, alors que les sénateurs s'apprêtent à discuter la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte, 36 organisations de la société civile, regroupant associations, syndicats, journalistes et lanceurs d'alerte, se sont réunies devant le Sénat pour appeler les sénateurs à clarifier et renforcer le dispositif de protection des lanceurs d'alerte en France.
Lundi, ces mêmes organisations avaient publié une
tribune rappelant l'importance de protéger les lanceurs d'alerte, « en première ligne pour la défense de
l'intérêt général ». Cette action vise à interpeler les parlementaires et
l'opinion publique sur les dangers que le texte soumis au vote du Sénat
présentent pour les droits des lanceurs d'alerte et la liberté d'informer et
d'alerter. Le 17 décembre dernier a signé la fin du délai de transposition de
la directive protégeant les lanceurs d’alerte votée par l’Union européenne en
2019. En effet, le 15 décembre 2021, la
commission des lois du Sénat a examiné la proposition de loi déposée par le
député Sylvain Waserman sur la protection des lanceurs d’alerte. Cette
proposition, issue de plus de deux années de mobilisation de la société civile
et adoptée à l’unanimité des groupes politiques en première lecture à
l’Assemblée nationale, « porte en
elle l’espoir d’un réel renforcement des droits des lanceurs d’alerte »,
estime le collectif. Plusieurs amendements déposés par les sénateurs
reviennent en effet sur les acquis de la loi Sapin II et violent les exigences
de la directive européenne que cette proposition de loi a vocation à
transposer. « Alors qu’elle vient de
prendre la présidence de l’Union européenne, la France risque d’en devenir la
lanterne rouge », poursuit-il. Le
collectif ajoute « cette directive
constitue pourtant une avancée majeure pour reconnaître et préserver le rôle de
vigie que jouent les lanceurs d’alerte dans des temps où nos libertés et nos droits
sont menacés partout en Europe. Qu’ils signalent aux autorités les risques de crises
sanitaires comme Irène Frachon (Mediator), qu’ils révèlent les arcanes de la fraude
fiscale comme Antoine Deltour (Luxleaks) ou la surveillance de masse comme Edward
Snowden (NSA), les lanceurs d’alerte constituent les filets de sécurité de nos démocraties. »
Une proposition de
loi qui donnait espoir
Or, ces lanceurs d’alertes font « trop souvent face à des représailles et des menaces auxquelles la
loi Sapin II, malgré ses avancées, n’a pas su palier ». La proposition
de loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 17 novembre dernier
répond en partie à ces lacunes. Elle reprend plusieurs revendications des organisations
rassemblées ce jour devant le Sénat qui, dans un communiqué daté du 22
novembre, considéraient qu’elle représentait une « avancée considérable pour les lanceurs d’alerte, dont les droits se
trouvent renforcés ». Pour les organisations réunies devant le Sénat, ces
amendements proposés par les sénateurs, s’ils étaient adoptés, constitueraient « une menace colossale, susceptible de
dissuader nombre de citoyens de dénoncer les abus dont ils sont témoins et de
précariser encore davantage ceux qui décident néanmoins de franchir le pas ».
Et d’ajouter : « Aujourd’hui,
les lanceurs d’alerte s’exposent à une véritable mise à mort sociale et
professionnelle. La loi de transposition doit remédier à cette situation, et
non pas l’aggraver, pour notre bien à toutes et tous. »Pour les organisations mobilisées, c’est ici
l’essence même du droit d’alerter qui est menacée : celle de stimuler le débat d’intérêt général et faire
évoluer les mentalités et les législations lorsque ces dernières accusent un
retard sur les aspirations des citoyens. « Les
propositions des sénateurs, instrumentalisés par les lobbies agricoles, ouvrent
la voie à des régressions extrêmement inquiétantes. »
Que prévoient ces
amendements ?
Le texte proposé par la commission des lois propose par
ailleurs de supprimer la protection des associations et syndicats «
facilitateurs d’alerte ». Or, lorsqu’elles apportent leur aide au lanceur
d’alerte, les associations et les syndicats jouent un rôle essentiel. Ils
permettent de préserver son anonymat, donnent des moyens supplémentaires
d’agir, des expertises, des ressources… dont il ne dispose pas à lui-seul. « Priver les organisations de
protection constitue une atteinte grave à l’efficacité de celle accordée aux
individus. Cette suppression expose pleinement les associations et syndicats
accompagnant les lanceurs d’alerte aux représailles et intimidations de la part
des employeurs. Au risque, en bout de course, de les dissuader de réaliser leur
mission et de priver ainsi les lanceurs d’alerte d’alliés indispensables. »
Enfin, alors que la loi « Waserman » prévoyait une procédure
permettant de rompre la précarité financière des lanceurs d’alerte en
permettant au juge de forcer les étouffeurs d’alerte à verser au lanceur
d’alerte une provision pour faire face aux frais de justice, le Sénat vide
largement le mécanisme de sa substance. D’une part, les étouffeurs d’alerte
pourront échapper à leurs obligations en invoquant le fait que la mesure prise
à l’égard du lanceur d’alerte était « dûment justifiée », ce qui ouvre la voie
aux dérives. D’autre part, la provision ne sera plus acquise définitivement :
les lanceurs d’alerte n’ayant pas eu gain de cause devront rembourser cette
dernière. « Avec une telle épée de
Damoclès au-dessus de la tête, qui se risquera à la demander ? »
Par ailleurs, alors que la directive permet aux lanceurs
d’alerte de saisir la presse en premier lieu en cas de danger imminent ou
manifeste pour l’intérêt public, le texte issu de la commission exige désormais
que le danger soit à la fois manifeste, imminent et d’une gravité suffisante,
ce qui restreint considérablement le droit de lancer l’alerte auprès du public,
au risque de priver les citoyens d’informations fiables sur des sujets
d’intérêt général, en contradiction avec la Convention Européenne des Droits de
l’Homme.
Liste des
organisations mobilisées
Maison des Lanceurs d'Alerte / Amis de la Terre France / Anticor
/ APESAC / Association E3M / Attac / BLOOM / CFDT Cadres / CFDT Journalistes / Collectif
des Associations Citoyennes / Foodwatch / France Nature Environnement / FSU / Générations
Futures / Greenpeace France / Inf'OGM / Informer n’est pas un délit / Institut
Veblen / L214 / Ligue des droits de l’Homme / Ma Zone Contrôlée / Nothing2Hide
/ One Voice / Réseau Sortir du nucléaire / Réseau Santé Environnement / Ritimo
/ Sciences citoyennes / Sherpa / Solidaires Finances Publiques / Syndicat de la
Magistrature / Syndicat National des Journalistes / Syndicat National des
Journalistes – CGT / The Signals Network / Transparency International France / Ugict
CGT / Union syndicale Solidaires.
Infos pratiques : Pour aller plus loin, retrouvez le communiqué du collectif : https://mlalerte.org/le-senat-en-passe-de-priver-l...
Article du 19 janvier 2022 I Catégorie : Vie de la cité