Francis Prior, fidèle internaute du kiosque nous fait par d'une réflexion en plein débat sur les retraites : "Est ce du cynisme ou de l'incohérence ou pire une vue si courte qu'elle nous empêcherait de voir l'avenir de nos propres enfants ?"
"Certains chantent à tue-tête l’égalité, la présentant comme la dernière des ivresses, la conquête ultime de notre humanité et fustigeant tous ceux qui demandent que ce beau mot ne soit pas dévoyé en d’indignes convoitises. En tous cas, ceux-là mêmes qui clament l’égalité sociale et fiscale, ou certains d’entre eux, expliquent sans sourcilier que cette égalité ne saurait concerner le régime de retraite dont ils bénéficient.
Avec un jovial cynisme, ils décrivent le monde idéal qu’ils appellent de leurs vœux, parlant de morale, de droits de l’homme, de dignité tout en s’indignant vertement que l’on puisse même envisager d’appliquer cette éthique égalitaire aux inégalités dont ils jouissent. Et les voilà, pour le coup, rejetant les idées de partage et de solidarité fussent-elles indispensables pour que leurs propres enfants accédassent un jour à cette félicité de recevoir des autres le nécessaire alors que, faute de force et de santé, ils ne pourront, à leur tour, y pourvoir par eux-mêmes. Pour expliquer leur noble courroux, les uns évoquent la dureté de leur labeur oubliant que d’autres, dans le même métier, ne bénéficient pas de ce statut roboratif. D’aucuns, de la basoche, maitre en chicanes, crient que l’on va piller leur plantureuse cassette oublieux du fait qu’ils bénéficient aujourd’hui d’un printemps démographique dans leur corporation comme d’autres naguère, qui, désormais, quand la bise est venue, viennent crier famine et en appelle à la solidarité de toutes les fourmis voisines.
Bien d’autres, qui n’ont commis d’autre faute que de naitre ailleurs, pas loin, tout près, là où nous autres, allons-nous reposer au soleil, ne pourrons pas même rêver du millième de notre superflu. Comme l’inconséquence ne flétrit plus les discours les plus saugrenus, on peut manifester à la fois pour l’égalité sociale en général et pour le maintien en particulier des inégalités dont on bénéficie. Ceux-là mêmes qui plaident pour la convergence des luttes s’enflamment donc pour la divergence des situations acquises. Comme ces autres qui réclament dans des rues proprettes plus d’humanité dans le traitement des migrants naufragés trouvent normal de bénéficier d’une chaine de création de la valeur qui conduit tant d’hommes, de femmes et d’enfants à s’en remettre à des rafiots de fortune pour parvenir peut-être, au terme d’un « voyage au bout de la nuit », à un peu moins de dénuement.
Mais voilà, l’argument ultime d’une niaiserie effarante : nous aurions lutté pour obtenir ces statuts spécifiques. Ils seraient un contrat irréfragable passé entre la Nation et chacun d’entre nous. Outre que, ceux-là qui demain en bénéficieront, n’ont pas eu à beaucoup lutter pour cueillir le fruit mûr, le propre d’une société est de tenter de s’adapter en permanence à l’évolution de ses éléments le plus fondamentaux : le nombre de ses membres, la durée de leur existence, leur manière de produire et de consommer, leurs relations aux choses et à la nature, ce qu’ils croient de leur vie et de son au-delà. Cette tâche de survie est celle de toutes les époques et de tous les lieux.
Peut-être serons-nous la première génération à refuser la charge de transmettre à demain les trésors accumulés au cours de tant de siècles, préférant nous goberger au bord du précipice."
Article du 15 octobre 2019 I Catégorie : Politique